Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/313

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dans l’erreur. Certes, le nom d’heureux ne peut être donné à l’homme qui est lancé hors de la vérité. Ainsi, la vie heureuse est celle qui a pour base un jugement droit et sûr, celle qui est immuable. Alors, en effet, l’esprit est net et affranchi de tous maux, puisqu’il a échappé, non seulement aux coups déchirants, mais encore aux légères atteintes, puisque toujours il tiendra ferme au point où il s’est arrêté, et défendra son poste, lors même que la fortune en courroux multiplierait ses attaques. Quant au plaisir, admettons qu’il se répande autour de nous en venant de tous côtés, qu’il s’infiltre par toutes les voies, qu’il flatte l’âme par ses douceurs, et que, des unes faisant naître les autres, il les amène pour solliciter et nous tout entiers et les portions de nous-mêmes. Malgré cela, quel mortel, s’il lui reste encore quelque chose de l’homme, voudrait, tant que durent le jour et la nuit, éprouver un chatouillement, voudrait, se détachant de l’âme, s’occuper du corps ?

VI. « Mais l’âme aussi, me dit l’épicurien, aura ses plaisirs. » Eh bien, soit, et qu’elle cède à la débauche, en arbitrant aussi les plaisirs ; qu’elle se remplisse de tous ces objets qui ont coutume de charmer les sens ; qu’ensuite elle reporte ses regards sur le passé ; qu’éveillée par le souvenir des plaisirs dissolus, elle s’élance de ceux qui ont précédé, et que déjà elle plane sur ceux qui doivent suivre ; qu’elle range méthodiquement ses espérances, et que, le corps étant plongé dans les grossières jouissances du présent, l’âme, pendant ce temps-là dépêche ses pensées vers les jouissances de l’avenir. En cela elle me parait plus misérable, parce que prendre le mauvais au lieu du bon c’est folie. Or, d’un côté, sans la saine raison nul n’est heureux, et de l’autre, on n’est