Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/325

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quement, que je l’atteste : non, cette vie que moi j’appelle agréable, ne peut, sans que la vertu y soit jointe, échoir en partage. » Mais qui ne sait que les hommes les plus remplis de vos plaisirs, ce sont les plus insensés ? que le dérèglement abonde en jouissances ? que l’âme elle-même suggère des genres de plaisir, non seulement dépravés, mais nombreux ? d’abord l’insolence, l’excessive estime de soi-même, l’enflure d’un homme qui s’élève au dessus des autres, l’amour aveugle et imprévoyant de ce que l’on possède ; puis les délices de la mollesse, les tressaillements de la joie pour des sujets petits et puérils ; ensuite le ton railleur, et l’orgueil qui se plaît à outrager, et la nonchalance, et le laisser-aller d’une âme indolente qui s’endort sur elle-même. Toutes ces choses, la vertu les dissipe ; elle réveille par de rudes avertissements ; elle évalue les plaisirs avant de les admettre ; ceux qu’elle a trouvés de bon aloi, elle n’y met pas un grand prix (car elle ne fait que les admettre) ; et ce n’est pas d’en user, c’est de les tempérer, qu’elle fait sa joie. Votre tempérance, au contraire, puisqu’elle diminue les plaisirs, est une atteinte portée au souverain bien. Vous serrez le plaisir entre vos bras ; moi, je le tiens en respect. Vous jouissez du plaisir ; moi, j’en use. Vous pensez qu’il est le souverain bien ; moi, je pense qu’il n’est pas même un bien. Vous faites tout pour le plaisir ; et moi, rien. Quand je dis que je ne fais rien pour le plaisir, je veux parler de cet homme sage, auquel seul vous en accordez la possession.

XI. Mais je n’appelle point sage l’homme au dessus duquel est placé quoi que ce soit, et à plus forte raison le plaisir. Une fois envahi par ce dernier, comment résistera-t-il à la fatigue, aux périls, à l’indigence, à tant de me-