Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/337

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à un grand mal, et les plaisirs qu’ils ont pris ont fini par les prendre17. Plus les plaisirs sont nombreux et grands, plus il est un chétif esclave, et plus il a de maîtres, cet homme que le vulgaire appelle heureux. Restons encore dans la même figure : celui qui va cherchant les tanières des bêtes, et qui met beaucoup de prix à les prendre dans ses toiles, à cerner de ses chiens les vastes forêts18, celui-là, pour se précipiter sur les traces d’une proie, abandonne des objets préférables, et renonce à des devoirs multipliés ; de même, celui qui court après le plaisir rejette en arrière tout le reste : ce qu’il néglige d’abord, c’est la liberté ; il la sacrifie à son ventre, et il n’achète pas les plaisirs pour se les approprier, mais il se vend aux plaisirs

XV. Cependant, me dit l’épicurien, qui empêche que la vertu et le plaisir ne soient incorporés ensemble, et que l’on ne compose le souverain bien de telle manière, qu’il soit à la fois l’honnête et l’agréable ? C’est qu’il ne peut exister une partie de l’honnête, qui ne soit l’honnête ; c’est que le souverain bien ne sera pas dans toute sa pureté, s’il voit en lui quelque chose qui diffère de ce qui est meilleur. Le contentement même qui provient de la vertu, quoiqu’il soit un bien, n’est pourtant pas une partie du bien absolu, pas plus que la joie et la tranquillité, quoiqu’elles naissent des plus beaux motifs. En effet, ce sont des biens, mais des conséquences, et non pas des compléments, du souverain bien. Quant à l’homme qui associe le plaisir avec la vertu, et qui ne leur donne pas même des droits égaux, par la fragilité de l’un dés biens il énerve tout ce qu’il y a de vigueur dans l’autre ; cette liberté, qui n’est invaincue, que si elle ne connaît rien d’un plus grand prix qu’elle-même, il la met sous