Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/349

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extravagance ; les autres, qu’on y voie une témérité. Lui, cependant, heureux et plein du sentiment d’une bonne conscience, il s’est rendu témoignage en sortant de la vie ; il a vanté le calme de ses jours passés dans le port et à l’ancre. Il a dit — et pourquoi, vous autres, l’avez-vous entendu à contre cœur, comme si vous deviez en faire autant ? — il a dit : « J’ai vécu, et la carrière que m’avait donnée la fortune, je l’ai achevée30. »

Sur la vie de l’un, sur la mort de l’autre, vous disputez ; et au seul nom d’hommes qui sont grands à cause de quelque mérite éminent, vous, comme font de petits chiens à la rencontre de personnes qu’ils ne connaissent pas, vous aboyez : c’est qu’il est de votre intérêt, que nul ne paraisse bon. Il semble que la vertu d’autrui soit une censure de vos méfaits. Malgré vous-mêmes, vous comparez ce qui a de l’éclat, avec vos souillures, et vous ne comprenez pas combien c’est à votre détriment, que vous avez cette hardiesse. Si, en effet, ces hommes qui s’attachent à la vertu sont avares, libertins et ambitieux, qu’êtes-vous donc, vous à qui le nom même de la vertu est odieux ? Vous niez qu’on voie aucun d’eux faire ce qu’il dit, et régler sa vie sur ses discours ? A cela quoi d’étonnant, puisqu’ils disent des choses d’une vigueur, d’une élévation, extraordinaires, des choses qui échappent à tous les orages de l’humanité ? Puisqu’ils s’efforcent de s’arracher à des croix dans lesquelles chacun de vous enfonce lui-même les clous qui le fixent ? Réduits pourtant à subir le supplice, ils restent suspendus chacun à un seul poteau. Pour ceux-là qui se punissent eux-mêmes, autant ils ont de passions, autant ils ont de croix qui les disloquent. Encore médisants, pour outrager les autres ils