Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/51

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pas ému pour peu, il ne le sera pas pour beaucoup. Vous autres, vous jugez une grande âme sur la mesure de votre faiblesse ; et, supputant jusqu’où irait votre patience, vous reculez quelque peu plus loin le terme de celle du sage. Mais lui, sa vertu l’a placé sur les confins d’un autre monde, qui n’a rien de commun avec vous. Aussi, quelque durs, quelque lourds à endurer, quelque repoussans que soient de nom ou d’aspect tous vos fléaux, leur choc réuni ne saurait l’accabler : comme il les repousserait en détail, il les repoussera en masse. Dire que le sage supportera ceci et qu’il ne supportera pas cela, emprisonner une telle grandeur dans vos arbitraires limites, mauvais calcul : la fortune triomphe de l’homme, si l’homme ne triomphe complètement d’elle. Et gardez-vous de voir ici de l’insensibilité purement stoïque : Épicure, que vous adoptez comme le patron de votre paresse, qui ne prêche^ selon vous, que la mollesse, l’indolence et tout ce qui mène aux voluptés ; Épicure a dit : Rarement la fortune trouve le sage en défaut. Ah ! que voilà presque parler en homme ! Que ne dis-tu, d’un ton plus ferme encore, qu’elle ne l’y trouve jamais ? Voici la maison du sage : petite, sans ornemens, sans fracas, sans appareil ; aucun portier n’en surveille l’entrée et n’y classe la foule29 avec l’insolence d’un mercenaire. Eh bien ! ce seuil, vide de sentinelle, qui n’est pas obstrué de concierges, la fortune ne le franchit point : elle sait que pour elle il n’y a point place où l’on ne voit rien qui soit à elle. Que si Épicure lui-même, qui a tant accordé aux sens, ose faire tête aux injures, quel effort devra nous sembler incroyable ou au dessus de la nature humaine ? Épicure pense que le sage supporte les injures ; nous, qu’il n’y en a point pour le sage.