Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/53

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XVI. Ne prétendez pas que cela répugne à la nature. Nous ne nions point qu’il ne soit pénible d’être frappé, maltraité, de perdre quelque membre ; mais nous nions que, dans toutes ces choses, il y ait injure. Nous ne leur ôtons pas leur aiguillon douloureux ; nous ne leur refusons que le nom d’injures, qui ne peut être admis sans blesser la vertu. Qui des deux a dit le plus vrai ? Nous le verrons ailleurs ; quant au mépris de l’injure, les deux sectes s’accordent. Vous voulez connaître la différence qui existe entre elles ? La même qu’entre deux gladiateurs très-courageux : l’un porte la main sur sa plaie, et se tient ferme ; l’autre se tourne vers le peuple qui s’écrie, lui fait signe que la sienne n’est rien, et ne permet pas qu’on intercède pour lui. Il ne faut pas croire qu’entre nous le point de dissentiment soit grave. Ce dont il s’agit, l’unique chose qui nous intéresse, nous est conseillée par deux maîtres : méprisons les injures et ce que j’appellerais des ombres, des soupçons d’injures, les offenses. Pour dédaigner l’offense, il n’est pas besoin de toute la fermeté d’un sage, il suffit d’un homme qui raisonne, qui puisse se dire : Ai-je mérité ou non ce qui m’arrive ? Dans le premier cas, ce n’est pas offense, c’est justice ; dans le second, c’est à l’auteur de l’injustice à rougir. Et qu’est-ce enfin que l’on nomme offense ? On a plaisanté sur ce que ma tête est chauve, mes yeux chassieux, mes jambes grêles, ma taille exiguë : est-on offensé pour s’entendre dire ce qui frappe tous les yeux ? Tel mot proféré devant un seul témoin nous fait rire, qui devant plusieurs nous indigne ; et nous ne laissons point aux autres le droit de répéter ce que nous-mêmes disons journellement contre nous : un peu de raillerie nous amuse, beaucoup nous irrite.