Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/95

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à la flamme, ou nous nous précipitons volontairement dans un gouffre10. De même cette multitude immense qui est groupée autour d’une seule âme est gouvernée par son souffle et modérée par sa raison ; tandis qu’elle serait écrasée et brisée par ses propres forces, si elle cessait d’avoir pour appui la sagesse de son chef.

IV. Ainsi c’est l’amour de leur propre conservation qui fait agir les peuples, lorsque, pour un seul homme, dix légions se rangent en bataille lorsqu’on s’élance au premier rang, lorsqu’on présente sa poitrine aux blessures, pour empêcher que les drapeaux de son empereur ne reçoivent un affront ; car il est le lien par lequel le faisceau de l’état demeure uni ; le souffle vital par lequel sont animés tant de milliers d’hommes, qui ne seraient qu’un fardeau pour eux-mêmes et une proie pour l’ennemi, si cette âme du gouvernement venait à disparaître.

Tandis qu’il est vivant, tout suit la même loi.
Est-il mort ? ce n’est plus que discorde civile11.

Un tel malheur détruirait sans retour la paix de l’empire, et ferait tomber en ruines la puissance du peuple romain, de cette grande nation. Il sera à l’abri d’un tel danger tant qu’il saura supporter le frein ; si jamais il le brise, ou si, après en avoir été dégagé par un évènement quelconque, il ne souffre pas qu’on le lui remette, ce vaste empire perdra son unité et tombera en dissolution.

Rome cessera de dominer lorsqu’elle cessera d’obéir. On ne doit donc pas s’étonner que les princes, les rois, et tous ceux auxquels est confié le salut de l’état, quelque nom qu’on leur donne, soient l’objet d’un amour qui l’emporte sur toutes les affections privées. Car si les hommes sages préfèrent l’intérêt public à l’intérêt parti-