Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/117

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le mensonge à un principe vrai, je ne pourrai démêler ce qu’il faut fuir de ce qu’il faut rechercher ! Ô honte ! sur une chose si grave nous, vieillards, ne savons que jouer. Un rat est une syllabe ; or un rat ronge du fromage, donc une syllabe ronge du fromage. Supposez que je ne puisse débrouiller ce sophisme, quel péril mon ignorance me suscitera-t-elle, quel inconvénient ? En vérité devrai-je craindre de prendre un jour des syllabes dans une ratière, ou de voir, par ma négligence, un livre manger mon fromage ? Ou peut-être y a-t-il plus de finesse à répondre : Un rat est une syllabe ; une syllabe ne ronge pas de fromage : donc un rat ne ronge pas de fromage. Puériles inepties ! Voilà sur quoi se froncent nos sourcils, sur quoi se penchent nos longues barbes ! Voilà ce que nous enseignons avec nos visages soucieux et pâles !

Veux-tu savoir ce que la philosophie promet aux hommes ? le conseil. Tel est appelé à la mort ; tel est rongé par la misère ; tel autre trouve son supplice dans la richesse d’autrui ou dans la sienne ; celui-ci a horreur de l’infortune ; celui-là voudrait se soustraire à sa prospérité ; tel est en disgrâce auprès des hommes, et tel auprès des dieux. Qu’ai-je à faire de vos laborieux badinages ? Il n’est pas temps de plaisanter : des malheureux vous invoquent. Vous avez promis secours aux naufragés, aux captifs, aux malades, aux indigents, aux condamnés dont la tête est sous la hache ; où s’égare votre esprit ? Que faites-vous ? Vous jouez, quand je meurs d’effroi. Secourez-moi : à tous vos discours, c’est la réponse de tous[1]. De toutes parts les mains se tendent vers vous : ceux qui périssent, ceux qui vont périr implorent de vous quelque assistance ; vous êtes leur espoir et leur force ; ils vous crient : « Arrachez-nous à l’affreuse tourmente ; nous sommes dispersés, hors de nos voies : montrez-nous le clair fanal de la vérité. » Dites-leur ce que la nature a jugé nécessaire, ce qu’elle a jugé superflu ; combien ses lois sont faciles, de quelle douceur, de quelle aisance est la vie quand on les prend pour guides, de quelle amertume au contraire et de quel embarras quand on a foi dans l’opinion plus que dans la nature ; mais d’abord enseignez ce qui peut alléger en partie leurs maux, ce qui doit guérir ou calmer leurs passions. Plût aux dieux que vos sophismes ne fussent qu’inutiles ! Ils sont funestes. Je prouverai, quand on le vou-

  1. Quidquid loquaris, respondent omnes. Telle est la leçon que j'adopte pour ce passage diversement tourmenté