Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/166

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fortune ne maîtrise point, qui est supérieure aux heureuses et aux malheureuses chances, qui à la beauté unit la décence, à la vigueur la santé et la sobriété, imperturbable, intrépide, que nulle force ne brise, que les faits extérieurs n’enorgueillissent ni n’abattent point, une telle âme est proprement la vertu ; telle en serait l’image, embrassée d’une seule vue, dévoilée une fois tout entière. Mais elle a mille faces qui se développent suivant les états et les fonctions diverses de la vie, sans qu’elle en devienne au fond ni moindre ni plus grande. Le souverain bien ne peut décroître ni la vertu rétrograder ; mais elle se produit sous tel ou tel attribut, et prend la manière d’être qui convient à chacun de ses actes. Tout ce qu’elle a touché s’empreint de son image et de sa teinte ; les actions qu’elle inspire, les amitiés qu’elle noue, quelquefois des maisons entières, où l’harmonie rentre avec elle, s’embellissent de sa présence ; il n’est rien où elle s’emploie qu’elle ne rende digne d’amour, de respect, d’admiration. Sa force et sa grandeur ne sauraient donc monter plus haut, puisque l’extrême élévation ne comporte plus d’accroissement. Tu ne trouveras rien de plus droit que la rectitude, de plus vrai que la vérité, de plus tempérant que la tempérance.

Toute vertu a la modération pour base ; la modération est la vraie mesure de tout. La constance n’a point à aller au delà d’elle-même, non plus que la confiance, la vérité, la loyauté. Que peut-on ajouter à la perfection ? Rien ; sinon il y avait imperfection là où l’on ajoutait. De même pour la vertu : si l’on pouvait y ajouter, elle serait incomplète. L’honnête non plus ne saurait croître en nulle façon : car c’est pour cela même dont je parle qu’il est l’honnête. Que dirons-nous de ce qui est beau, juste, légitime ? Ne forme-t-il pas un même genre compris dans d’immuables limites ? La faculté de croître est un signe d’imperfection ; et tout bien est soumis aux mêmes lois : l’intérêt privé se lie à l’intérêt public, tout de même certes qu’on ne peut séparer ce qui est louable de ce qui est à désirer.

Ainsi les vertus sont égales, comme les œuvres qu’elles accomplissent, comme tous les hommes à qui elles se donnent. Quant aux plantes et aux animaux, leurs vertus, toutes mortelles, sont dès lors fragiles, caduques et incertaines ; elles ont des saillies, puis s’affaissent ; aussi ne les estime-t-on pas le même prix. La règle qui s’applique aux vertus humaines est une ; car la droite raison est une et simple. Rien n’est plus divin que le divin, plus céleste que le céleste. Les choses