Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/176

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fou pour souhaiter d’être malade ; mais, si je dois l’être, mon vœu sera de ne faire acte ni d’impatience ni de faiblesse. Ainsi ce qui est désirable, ce n’est point le mal, mais bien la vertu qui l’endure. Quelques-uns de nos stoïciens estiment que la fermeté dans les tourments n’est pas à désirer ni à repousser non plus, parce que l’objet de nos vœux doit être un bonheur sans mélange et sans trouble et inaccessible aux contrariétés. Tel n’est point mon avis, et pourquoi ? D’abord il ne peut se faire qu’une chose soit vraiment bonne et ne soit pas désirable ; ensuite, si la vertu est à désirer, et qu’il n’y ait nul bien sans elle, tout bien est, comme elle, désirable. Et puis, quand même la fermeté dans les tourments ne serait pas chose désirable, je demanderai encore si le courage ne l’est pas ? Car enfin le courage méprise et défie les dangers ; son plus beau rôle, son œuvre la plus admirable est de ne pas fuir devant la flamme, d’aller au-devant des blessures et, au besoin, loin d’esquiver le coup mortel, de le recevoir à poitrine ouverte. Si le courage est désirable, la fermeté dans les tourments l’est aussi : c’est en effet une partie du courage.

Distingue bien tout cela, je le répète, et rien ne fera plus équivoque pour toi. Ce qu’on doit désirer, ce n’est pas de souffrir, mais de souffrir courageusement. Voilà ce que je souhaite : le courage ; car voilà la vertu. « Mais qui formera jamais un pareil souhait ? » Il y a des vœux clairs et déterminés, ceux qui se font pour une chose spéciale ; il y en a d’implicites, quand un seul en embrasse plusieurs. Par exemple, je souhaite une vie honorable : cette vie honorable se compose d’actes variés ; elle comprend le tonneau de Régulus, la blessure qu’élargit Caton de sa propre main, l’exil de Rutilius, la coupe empoisonnée qui fit monter Socrate du cachot dans les cieux. Ainsi, en souhaitant une vie honorable, j’ai du même coup souhaité les épreuves sans lesquelles parfois elle est impossible.

    Ô trois et quatre fois heureux,
Vous tous qui, pour sauver les hauts remparts de Troie,
Sous les yeux paternels mourûtes avec joie[1]!

Souhaiter à quelqu’un un pareil sort n’est-ce pas avouer qu’il fut désirable ? Décius se dévoue pour la République ; et poussant son cheval, il court chercher la mort au milieu des ennemis. Son fils, après lui, émule du courage paternel, répète les solennelles paroles qui sont déjà pour lui un souvenir de

  1. Énéide, I, 93.