Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/247

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tait de main d'homme : il fallut des roches entières pour l'écraser100. Et toi, tu n'as contre la mort que des dards de si mince portée ! Une alène pour affronter un lion ! Elles sont affinées tes paroles : rien l'est-il plus qu'une barbe d'épi? Il est des armes que leur subtilité même rend inutiles et impuissantes.


LETTRE LXXXIII.

Dieu connaît toutes nos pensées. Exercices et régime de Sénèque. Sophisme de Zénon sur l’ivresse.

Tu me demandes compte de chacun de mes jours, de mes jours tout entiers. Tu présumes bien de moi si tu penses que je n’ai rien à déguiser de leur emploi. Oui certes, il faut régler sa vie comme si elle se passait sous l’œil du public ; ses pensées, comme si quelqu’un pouvait, et quelqu’un le peut, lire au fond de nos âmes. Que sert de se cacher en partie aux hommes ? Rien n’est fermé pour Dieu. Il est présent dans nos consciences, il intervient dans nos pensées1. Il intervient, ai-je dit ? comme si jamais il en était absent ! Je ferai donc comme tu l’exiges ; la nature et l’ordre de mes occupations, je te manderai volontiers tout cela. Je vais m’observer dès à présent, et, suivant la plus utile des pratiques, faire la revue de ma journée. Ce qui nous endurcit dans le mal, c’est que nul ne tourne les yeux vers sa vie antérieure. Que ferons-nous ? Voilà ce qui nous occupe, et rarement. Qu’avons-nous fait ? cela n’inquiète guère ; et pourtant les conseils pour l’avenir, c’est du passé qu’ils viennent2.

Ce jour-ci est à moi sans réserve : personne ne m’en a rien enlevé ; il a été partagé tout entier entre les méditations du lit et la lecture : j’en ai donné la moindre partie à l’exercice du corps. Et c’est de quoi je rends grâces à la vieillesse : elle ne me coûte pas grande dépense de temps ; au moindre mouvement je suis las ; et la lassitude, pour l’homme le plus fort, est le terme de l’exercice. Qui ai-je pour compagnons de gymnastique ? Un seul me suffit, Éarinus, jeune esclave, comme tu sais, tout aimable : mais je le changerai. J’en cherche déjà un d’un âge plus tendre. Il prétend que nous sommes tous