Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/306

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peut contre les villes tout ce qu’elle peut contre les hommes. Rien ne doit là nous indigner : tel est le monde où nous sommes entrés, telles les lois sous lesquelles on y vit. Te plaisent-elles ? soumets-toi. Ne te plaisent-elles point ? sors par où tu voudras. Indigne-toi, si cette constitution n’est injuste que pour toi seul : mais si la même nécessité enchaîne grands et petits, réconcilie-toi avec le destin qui condamne tout à se dissoudre. Ne nous mesure pas à nos tombeaux ni à ces monuments plus ou moins riches qui bordent nos grandes voies ; notre cendre à tous est pareille : nés inégaux, nous mourons dans l’égalité. Je dis des villes ce que je dis de leurs habitants : Rome a été prise aussi bien qu’Ardée. Le grand législateur de l’humanité ne nous distingue par la naissance et l’éclat des noms que pour le temps de cette vie. Mais arrive-t-on au point où tout mortel finit : « Hors d’ici ! dit-il, vanités humaines ; que tout ce qui pèse sur la terre subisse la même loi. » Nous sommes égaux devant toutes les souffrances ; nul n’est plus fragile qu’un autre ; nul n’est plus qu’un autre assuré de vivre demain. Alexandre, roi de Macédoine, commençait l’étude de la géométrie ; le malheureux ! il allait savoir combien est petit ce globe dont il n’avait conquis qu’une bien faible part ; malheureux, dis-je, il allait sentir la fausseté du surnom qu’il portait : car qui peut être grand sur un mince théâtre ? Ces leçons étaient fort abstraites et exigeaient une attention soutenue : elles n’étaient pas faites pour entrer dans une tête insensée dont les rêves s’égaraient par delà l’Océan. Il s’écria : « Enseigne-moi des choses plus faciles. — Elles sont pour vous, dit le maître, comme pour tout le monde, également difficiles37. »

Prenons que la nature nous tient même langage : « Les choses dont tu te plains existent pour tous ; je ne puis les offrir plus faciles à personne, mais quiconque le voudra saura tout seul se les rendre aisées. » Comment ? Par l’égalité d’âme. Il faut que tu pleures, que tu aies soif, que tu aies faim, que tu vieillisses si tu es gratifié d’un plus long séjour chez les hommes, que tu sois malade, que tu perdes, que tu périsses. Ne va pas toutefois croire aux plaintes qui retentissent autour de toi : rien dans tout cela n’est mal, rien n’est intolérable ou trop dur. Il n’y a là que peurs de convention : en craignant la mort c’est un bruit public que tu crains. Et quoi de moins sensé qu’un homme qu’effrayent de simples paroles ? Démétrius notre ami a coutume de dire plaisamment : « Je fais autant de cas