Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/392

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les leçons du philosophe n’être qu’un passe-temps d’oisifs. Ils ne songent point à s’y défaire de quelque vice, à y recevoir quelque règle de vie pour redresser leurs mœurs : ils ne veulent que goûter la satisfaction de l’oreille. Quelques-uns pourtant apportent leurs tablettes ; mais au lieu de choses, ils y notent des mots qu’ils répéteront sans fruit pour les autres, comme ils les entendent sans fruit pour eux-mêmes. Il en est qu’échauffent les grands traits d’éloquence et qui entrent dans la passion de l’orateur, aussi émus d’esprit que de visage ; transport pareil à celui de ces eunuques qui, au son de la flûte phrygienne, ont de l’enthousiasme à commandement. Ce qui les ravit, ce qui les entraîne, c’est la beauté des doctrines, et non plus la vaine harmonie des paroles. Qu’il se débite quelque vive tirade contre la mort, quelque fière apostrophe contre la fortune, les voilà prêts à faire ce qu’ils viennent d’ouïr. Ils sont pénétrés et tels qu’on le veut, si l’impression morale persiste, si leur noble élan ne se brise à l’heure même contre les railleries du monde, qui dissuade de toute vertu. Ces sentiments conçus avec tant d’ardeur, bien peu les remportent dans leurs foyers.

Il est facile d’allumer chez son auditeur l’amour de ce qui est bien : car la nature a donné à tous le fondement et le germe des vertus. Tous nous sommes faits pour toutes ; à l’approche d’une main habile, ces précieuses étincelles, pour ainsi dire assoupies, se réveillent11. N’entends-tu pas de quels applaudissements retentissent nos théâtres, quand il s’y prononce de ces choses que tout un peuple reconnaît et sanctionne d’une seule voix comme la vérité même12 ?

Oui, le pauvre a bien peu, mais tout manque à l’avare

Sans pitié pour autrui, pour lui même barbare.


À de tels vers l’homme le plus sordide applaudit, et la censure de ses propres vices le charme13. Juge combien ces mots doivent avoir plus d’effet quand c’est un philosophe qui parle, lorsqu’à de salutaires préceptes se mêlent quelques vers qui les gravent plus efficacement dans les consciences peu éclairées ! « Car, comme a dit Cléanthe, de même que notre souffle produit un son plus éclatant s’il est comprimé dans l’étroite capacité d’un long tube d’où il sort enfin par un plus large orifice[1],

  1. Je lis avec presque tous les Mss. : patentiore novissime exitu. Lemaire: potentiorem novissimo…