Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/459

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celui qui descend. Qui suit une pente porte le corps en arrière ; qui gravit se penche en avant : car si tu pèses, en descendant, sur la partie antérieure du corps, si, pour monter, tu le ramènes en arrière, te voilà complice de ta chute. Aller aux plaisirs c’est descendre ; pour les choses rudes et difficiles il faut gravir, il faut de l’élan ; ailleurs le frein est nécessaire.

Penses-tu qu’ici je prétende que ceux-là seuls sont dangereux à écouter qui vantent le plaisir et nous impriment la crainte de la douleur, déjà effrayante par elle-même ? J’en vois d’autres non moins nuisibles qui, sous le masque du stoïcisme, nous exhortent aux vices. Que prêchent-ils en effet ? « Que le sage, le philosophe seul sait faire l’amour ; seul apte au grand art de bien boire et d’être bon convive, le sage y est passé maître. Voyons, disent-ils, jusqu’à quel âge peuvent être aimés les jeunes garçons. » Laissons aux Grecs cette pratique ; prêtons plutôt l’oreille à ceux qui disent : « Nul ne devient bon par hasard ; la vertu veut un apprentissage. La volupté est une chose abjecte et futile, digne de toute notre indifférence ; qui nous est commune avec les brutes, et que les dernières, les plus viles pourchassent avec plus d’ardeur. La gloire est un songe, une fumée, un je ne sais quoi plus mobile que le vent. La pauvreté n’est un mal que pour qui se révolte contre elle. La mort n’est point un mal : qu’est-elle donc ? dis-tu : la seule loi d’égalité chez les hommes. La superstition est une erreur qui tient du délire : elle craint ce qu’elle devrait aimer ; son culte est une profanation30. Or, quelle différence y a-t-il entre nier les dieux et les dégrader ? »

Voilà ce que nous devons nous dire et nous redire sans cesse : la tâche de la philosophie n’est point de suggérer des excuses au vice. Plus d’espoir de salut pour le malade que son médecin invite à l’intempérance.