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LIVRE II.

riche, s’il court la mer ; mais cette destinée, qui lui promet des trésors, veut aussi qu’il coure la mer : donc il la courra. J’en dis autant des expiations. Cet homme échappera au péril, s’il détourne par des sacrifices les menaces du ciel ; mais il est aussi dans sa destinée de faire ces actes expiatoires ; aussi les fera-t-il. Voilà, d’ordinaire, par quelles objections on veut nous prouver que rien n’est laissé à la volonté humaine, que tout est remis à la discrétion du destin. Quand cette question s’agitera, j’expliquerai comment, sans déroger au destin, l’homme a aussi son libre arbitre. Pour le présent, j’ai résolu le problème de savoir comment, le cours du destin restant invariable, les expiations et les sacrifices peuvent conjurer les pronostics sinistres, puisque, sans combattre le destin, tout cela rentre dans ses lois. Mais, diras-tu, à quoi bon l’aruspice, dès que, indépendamment de ses conseils, l’expiation est inévitable ? L’aruspice te sert comme ministre du destin. Ainsi la guérison, quoiqu’on la juge due au destin, n’en n’est pas moins due au médecin, parce que c’est par ses mains que le bienfait du destin nous arrive.

XXXIX. Il y a trois espèces de foudres, au dire de Cæcinna : les foudres de conseil, d’autorité, et les foudres de station. La première vient avant l’événement, mais après le projet formé, quand, méditant une action quelconque, nous sommes déterminés ou détournés par un coup de foudre. La seconde suit le fait accompli, et indique s’il est propice ou funeste. La troisième survient à l’homme en plein repos, qui n’agit ni ne projette aucune action ; celle-ci menace, ou promet, ou avertit. On l’appelle admonitrice ; mais je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas la même que la foudre de conseil. C’est un conseil aussi que l’admonition ; toutefois il y a quelque nuance, et c’est pourquoi on les distingue. Le conseil engage ou dissuade ; l’admonition se borne à faire éviter un péril qui s’avance, quand, par exemple, nous avons à craindre un incendie, une trahison de nos proches, un complot de nos esclaves. J’y vois encore une distinction : le conseil est pour l’homme qui projette ; l’admonition pour celui qui n’a nul projet. Les deux faits ont leur caractère propre. On conseille celui qui délibère, on avertit spontanément.

XL. Disons tout d’abord que les foudres ne diffèrent point par leur nature, mais par leurs significations. Il y a la foudre qui perce, celle qui renverse, celle qui brûle. La première est une flamme pénétrante, qui fuit par la moindre issue, grâce à