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QUESTIONS NATURELLES.

flots ne s’entendent que lorsqu’ils se brisent sur l’obstacle. Objectera-t-on que le feu plongé dans l’eau siffle en s’éteignant ? J’admets ce fait, il est pour moi ; car ce n’est pas le feu qui rend un son, c’est l’air qui s’échappe de l’eau où s’éteint le feu. En vous accordant que le feu naisse et s’éteigne dans les nuages, toujours naît-il d’un souffle et d’un frottement, « Quoi ! dit-on, ne se peut-il pas qu’une de ces étoiles filantes dont vous avez parlé tombe dans un nuage et s’y éteigne ? » Supposons que ce fait puisse quelquefois avoir lieu ; mais c’est une cause naturelle et constante que nous cherchons ici, et non une cause rare et fortuite. Si je convenais qu’il est vrai, comme vous le dites, qu’on voit parfois, après le tonnerre, étinceler des feux semblables aux étoiles qui volent obliquement et paraissent tomber du ciel, il s’ensuivrait que le tonnerre aurait été produit non par ces feux, mais en même temps que ces feux. Selon Clidémus, l’éclair n’est qu’une vaine apparence ; ce n’est pas un feu : telle est, dit-il, la lueur que pendant la nuit le mouvement des rames produit sur la mer. L’analogie n’est pas exacte : cette lueur paraît pénétrer la substance même de l’eau ; celle qui se forme dans l’atmosphère jaillit par éruption.

LVI. Heraclite compare l’éclair à ce premier effort du feu qui s’allume dans nos foyers, à cette flamme incertaine qui tantôt meurt, tantôt se relève. Les anciens nommaient les éclairs fulgetra ; nous disons tonitrua au pluriel ; ils employaient le singulier tonitruum ou tonum. Je trouve cette dernière expression dans Cæecinna, auteur plein de charme qui aurait eu un nom dans l’éloquence, si la gloire de Cicéron ne l’avait éclipsé. Notons aussi que, dans le verbe qui exprime l’éruption hors des nues d’une clarté subite, les anciens faisaient brève la syllabe du milieu, que nous faisons longue. Nous disons fulgēre comme splendēre. Ils disaient fulgĕre.

LVII. Mais tu veux savoir mon opinion à moi ; car je n’ai encore fait que prêter ma rédaction à celles d’autrui. Je dirai donc : L’éclair est une lumière soudaine qui brille au loin ; il a lieu quand l’air des nuages se raréfie et se convertit en un feu qui n’a pas la force de jaillir plus loin. Tu n’es pas surpris, je pense, que le mouvement raréfie l’air et qu’ainsi raréfié il s’enflamme. Ainsi se liquéfie le plomb lancé par la fronde. le frottement de l’air le fait fondre comme ferait le feu. Les foudres sont plus fréquentes en été, parce que l’atmosphère est plus chaude, et que le frottement contre des corps échauffés