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QUESTIONS NATURELLES.

à sa surface d’éminence telle, qu’elle sente davantage l’action des corps célestes, comme s’en approchant de plus près. Ces montagnes si hautes à nos yeux, ces sommets encombrés de neiges éternelles, n’en sont pas moins au plus bas du monde : sans doute elles sont plus près du soleil qu’une plaine ou une vallée, mais de la même façon qu’un cheveu est plus gros qu’un cheveu, un arbre qu’un arbre, une montagne qu’une autre montagne. Car alors on pourrait dire aussi que tel arbre est plus voisin du ciel que tel autre : ce qui n’est pas, parce qu’il ne peut y avoir grande différence entre de petites choses, qu’autant qu’on les rapproche entre elles. Quand on prend l’immensité pour point de comparaison, il n’importe de combien l’une des choses comparées est plus grande que l’autre ; car la différence fût-elle considérable, elle n’est toujours qu’entre deux atomes.

XII. Mais, pour revenir à mon sujet, les raisons qui précèdent ont fait presque généralement croire que la neige se forme dans la partie de l’air la plus proche de la terre, et qu’elle est moins compacte que la grêle, parce que le froid qui l’a saisie est moindre. En effet, cette partie de l’air est trop froide pour tourner en eau et en pluie, mais pas assez pour se durcir en grêle. Ce froid moyen, qui n’est pas trop intense, produit la neige par la coagulation de l’eau.

XIII. « Pourquoi, diras-tu, poursuivre si péniblement ces recherches frivoles qui jamais ne rendent l’homme plus instruit ni meilleur ? Tu dis comment la neige se forme : il serait bien plus utile de nous dire pourquoi la neige ne devrait pas s’acheter. » Tu veux que je fasse le procès au luxe, procès de tous les jours et sans résultat. Plaidons toutefois, et dût le luxe l’emporter, que ce ne soit pas sans combat ni résistance de notre part. Mais quoi ! penses-tu que l’observation de la nature ne conduise pas au but que tu me proposes ? Quand nous cherchons comment se forme la neige, quand nous disons qu’elle est de même nature que les gelées blanches, et qu’elle contient plus d’air que d’eau, n’est-ce pas, dis-moi, reprocher aux gens, outre la honte d’acheter de l’eau, la sottise d’acheter moins que de l’eau ? Pour nous, étudions plutôt comment se forme la neige, que comment elle se conserve ; car, non content de transvaser des vins centenaires et de les classer selon leur saveur et leur âge, on a trouvé moyen de comprimer la neige, de lui faire défier l’été, de la défendre contre les ardeurs de la saison par le froid des glacières.