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QUESTIONS NATURELLES.

d’autant plus, d’énergie qu’il est plus comprimé. Ceci ne peut avoir lieu sans lutte, ni la lutte sans ébranlement. Mais si l’air ne trouve pas même d’ouverture pour s’échapper, il se roule avec fureur sur lui-même, et s’agite en tous sens, il renverse, il déchire. Puissant, malgré sa ténuité, il pénètre dans les lieux les plus obstrués ; dans quelque corps qu’il s’introduise, il le disjoint violemment, il le fait éclater. Alors la terre tremble ; car ou elle s’ouvre pour lui donner passage, ou, après lui avoir fait place, dépourvue de base, elle s’éboule dans le gouffre dont elle l’a fait sortir.

XV. Suivant une autre opinion, la terre est criblée de pores : elle a non-seulement ses canaux primitifs, qui lui furent originairement donnés comme autant de soupiraux, mais beaucoup d’autres que le hasard y a creusés. L’eau a entraîné la terre qui couvrait certains points ; les torrents en ont rongé d’autres ; ailleurs, de grandes chaleurs ont crevassé et ouvert le sol. C’est par ces interstices qu’entre le vent ; s’il se trouve enfermé et poussé plus avant par la mer souterraine, si le flot ne lui permet pas de rétrograder, alors ne pouvant ni s’échapper, ni remonter, il tourbillonne, et comme il ne peut suivre la ligne droite, sa direction naturelle, il fait effort contre les voûtes de la cavité, et frappe en tous sens la terre qui le comprime.

XVI. Énonçons encore un point que la plupart des auteurs soutiennent, et qui, peut-être, ralliera les esprits. Il est évident que la terre n’est point dépourvue d’air ; et je ne parle pas seulement de cet air qui la fait cohérente, qui rapproche ses molécules, et qui se trouve jusque dans les pierres et les cadavres, mais d’un air vital, végétatif, qui alimente tout à sa surface. Autrement, comment pourrait-elle infuser la vie à tant d’arbustes, à tant de graines, qui sans air n’existeraient pas ? Comment suffirait-elle à l’entretien de tant de racines qui plongent de mille manières dans son sein, les unes presque à sa surface, les autres à de grandes profondeurs, si elle n’avait en elle des flots de cet air générateur d’où naissent tant d’êtres variés qui le respirent et qui lui doivent leur nourriture et leur croissance ? Ce ne sont encore là que de légers arguments. Ce ciel tout entier, que circonscrit la région ignée de l’éther, la plus élevée du monde, toutes ces étoiles dont le nombre est incalculable, tout ce chœur céleste, et, sans parler des autres astres, ce soleil qui poursuit son cours si près de nous, qui surpasse plus d’une fois en grosseur toute la sphère terrestre, tous tirent leurs aliments de la terre et se partagent les vapeurs