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QUESTIONS NATURELLES.

teurs, ils ne les élèveraient pas au-dessus de la lune ; toute leur action s’arrête aux nuages. Or, nous voyons les comètes rouler au plus haut des cieux parmi les étoiles. Il n’est donc pas vraisemblable qu’un tourbillon se soutienne en un si long parcours ; car, plus il est fort, plus tôt il tend à s’affaisser.

IX. Ainsi, qu’Épigène choisisse : avec une force médiocre, le tourbillon ne pourra s’élever si haut ; violent et impétueux, il sera plus prompt à se briser. Que dit-il encore ? Que si les comètes inférieures ne montent pas davantage, c’est parce qu’elles ont plus de parties terrestres. C’est leur pesanteur qui les retient près de terre. Cependant, il faut bien que les autres comètes, plus durables et plus élevées, soient plus riches de matière ; elles ne luiraient pas si longtemps si elles ne trouvaient plus d’aliments. Je disais tout à l’heure qu’un tourbillon ne peut subsister longtemps ni monter au-dessus de la lune et au niveau des étoiles. C’est qu’un tourbillon n’est formé que par la lutte de plusieurs vents, lutte qui ne peut être longue. Quand des courants d’air, incertains et sans direction fixe, ont tourné en cercle quelques instants, l’un d’eux finit par prédominer. Jamais les grandes tempêtes ne durent ; plus l’orage est fort, plus il passe vite. C’est quand les vents sont à leur plus haut point d’intensité qu’ils perdent toute leur violence, et par cette impétuosité même ils tendent forcément à mourir. Aussi jamais n’a-t-on vu de tourbillons durer tout un jour, ni même toute une heure. Leur rapidité étonne ; leur courte durée n’étonne pas moins. Ajoute que leur véhémence et leur célérité sont plus sensibles sur la terre et dans son voisinage ; en s’élevant ils s’étendent, se relâchent et par là se dissipent. Enfin, quand ils atteindraient même la région des astres, le mouvement qui emporte tous ces grands corps les décomposerait. Quoi de plus rapide, en effet, que cette révolution du ciel ? Elle dissiperait l’effort de tous les vents coalisés, et la solide et massive charpente de ce globe ; que ferait-elle donc de quelques molécules d’air roulées sur elles-mêmes ?

X. Au reste, ces feux, portés si haut par un tourbillon, n’y subsisteraient qu’avec le tourbillon même. Or, quoi de moins admissible que la longue durée de ce phénomène ? Un mouvement est détruit par un mouvement contraire, et là-haut tout est soumis à cette puissance de rotation qui emporte le ciel,

Qui lance et fait tourner les astres dans l’espace[1].

  1. Ovide, Métam., II, 71,