Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/83

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ne plus éviter l’inévitable. Ainsi le gladiateur qui dans toute la lutte fut le plus timide, tend la gorge à l’adversaire et y dirige le fer incertain. Mais l’idée d’un trépas voisin, infaillible surtout, exige un courage aussi soutenu qu’énergique ; or il est rare et ne peut s’obtenir que du sage. Aussi avec quelle avidité je l’écoutais m’énoncer en quelque sorte son arrêt sur la mort et me révéler un mystère qu’il avait sondé de plus près ! Il aurait sur toi, j’imagine, plus de créance et plus de poids, le récit d’un homme revenu à la vie pour t’affirmer sur son expérience que la mort n’est nullement un mal. Quant aux approches de cette mort et aux angoisses qu’elle apporte, qui peut mieux te les décrire que ceux qui furent avec elle en présence, qui la virent venir et lui ouvrirent leur porte ? Tu peux mettre Bassus de ce nombre : il a voulu nous désabuser. Craindre le trépas, nous dit-il, est aussi absurde qu’il le serait de craindre la vieillesse. Tout comme la vieillesse succède à un age plus jeune, ainsi la mort à la vieillesse. C’est n’avoir pas voulu vivre que de ne vouloir pas mourir. La vie, en effet, nous fut donnée sous la condition de la mort : elle nous y achemine. Craindre de mourir est donc une folie : car on doit attendre le certain, le douteux seul s’appréhende. La mort est une égale et invincible nécessité pour tous. Qui peut se plaindre d’une fatalité dont nul n’est exempt32 ? La base première de l’équité c’est l’égalité33. Mais il est superflu de justifier ici la nature qui n’a imposé à l’homme d’autre loi que la loi qu’elle subit elle-même. Tout ce qu’elle a formé elle le décompose, et le décompose pour former de nouveau. Mais l’homme assez heureux pour se voir doucement congédié par la vieillesse qui, au lieu de l’arracher tout d’un coup à la vie, l’en retire pas à pas, ne doit-il pas des actions de grâce à tous les dieux pour l’avoir conduit rassasié de jours jusques au repos si nécessaire à l’humanité, si agréable à la fatigue ? Tu vois des gens souhaiter la mort avec plus d’ardeur que les autres ne demandent la vie. Je ne sais lesquels à mon sens nous encouragent le plus, de ceux qui sollicitent la mort ou de ceux qui l’attendent gaiement et en paix ; chez les premiers, en effet, c’est parfois un transport furieux, un dépit soudain ; chez les seconds c’est le calme d’une décision ferme. On peut courir à la mort dans un accès de fureur contre elle ; mais nul ne l’accueille d’un front serein que celui qui, de longue main, s’y est disposé. Je l’avoue donc : j’ai multiplié mes visites chez cet homme qui m’est cher, et je l’ai fait pour plus d’un motif ; je voulais savoir si chaque fois je le trouverais le