Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/95

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meurt point. La mort même, que l’homme repousse avec épouvante, interrompt sans la briser son existence. Viendra le jour qui de nouveau nous rendra la lumière, que tant d’hommes refuseraient si ce jour ne leur ôtait aussi le souvenir. Mais plus tard j’expliquerai mieux[1] comment tout ce qui semble périr ne fait que se modifier. On doit partir de bonne grâce quand c’est pour revenir. Vois tourner sur lui-même le cercle de la création : tu reconnaîtras que rien en ce monde ne s’éteint, mais que tout descend et remonte alternativement. L’été s’enfuit, mais l’année suivante le ramène, l’hiver détrôné reparaît avec les mois où il préside ; la nuit engloutit le soleil et sera tout à l’heure chassée par le jour. Ces étoiles qui achèvent leur cours retrouveront tout ce qu’elles laissent derrière elles ; une partie du ciel se lève incessamment tandis que l’autre se précipite. Terminons enfin en ajoutant cette seule réflexion, que ni l’enfant, soit au berceau, soit même plus tard, ni l’homme privé d’intelligence ne craignent la mort ; et qu’il serait bien honteux que la raison ne nous donnât point cette sécurité où l’imbécillité d’esprit sait nous conduire.


LETTRE XXXVII.

Le serment de l’homme vertueux comparé à celui du gladiateur.

Le plus solennel engagement de bien faire, tu l’as pris : tu m’as promis un homme vertueux. Tu es enrôlé par serment. Il serait dérisoire de te dire que cette milice est douce et facile ; je ne veux pas que tu prennes le change. Ta glorieuse obligation est la même quant à la formule que celle du vil gladiateur : souffrir le feu, les fers, le glaive homicide. Ceux qui louent leurs bras pour l’arène, qui mangent et boivent pour avoir plus de sang à donner, se lient de façon qu’on puisse même les contraindre à souffrir tout cela ; toi, tu entends le souffrir volontairement et de grand cœur. Ils ont droit de rendre les armes, de tenter la pitié du peuple ; toi, tu ne ren-

  1. Lettre LXXI et liv. VIII Des bienfaits