Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/252

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le teint qui s’altère, une respiration fréquente et convulsive, tel paraît l’homme dans la colère. Ses yeux s’enflamment, étincellent ; son visage devient tout de feu ; le sang pressé vers son cœur bout et s’élève avec violence ; ses lèvres tremblent, ses dents se serrent ; ses cheveux se dressent et se hérissent ; sa respiration se fait jour avec peine et en sifflant ; ses articulations craquent en se tordant ; il gémit, il rugit ; ses paroles entrecoupées s’embarrassent ; à tout instant ses mains se frappent, ses pieds trépignent, tout son corps est agité, tout son être exhale la menace : hideux et repoussant spectacle de l’homme qui gonfle et décompose son visage. On doute, à cette vue, si un tel vice est plus odieux que difforme.

Les autres passions peuvent se cacher, se nourrir en secret : la colère se fait jour et perce à travers la physionomie ; plus elle est forte, plus elle éclate à découvert. Voyez tous les animaux ; leurs mouvements hostiles s’annoncent par des signes précurseurs ; tous leurs membres sortent du calme de leur attitude ordinaire, et leur férocité s’exalte encore. Le sanglier écume ; il aiguise sa dent meurtrière ; le taureau frappe l’air de ses cornes et fait voler le sable sous ses pieds ; le lion pousse un sourd rugissement ; le cou du serpent se gonfle de courroux ; l’aspect seul du chien atteint de la rage, fait horreur. Il n’est point d’animal si terrible, si malfaisant, qui ne montre encore, dès que la colère le possède, un surcroît de férocité. Je sais qu’en général les affections de l’âme se déguisent avec peine : l’incontinence, la peur, la témérité ont leurs indices et peuvent se faire pressentir ; car nulle pensée n’agite vivement l’intérieur de l’homme, sans que l’émotion passe jusqu’à