Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/260

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le modérer, une fois admis : dès qu’il a pris possession, il est plus fort que le maître, et ne connaît ni restriction ni limite. D’autre part, la raison elle-même, à laquelle vous livrez les rênes, ne saurait les garder que tant qu’elle a fait divorce avec les passions ; souillée de leur alliance, elle ne peut plus contenir ce qu’auparavant elle pouvait chasser. L’âme, une fois ébranlée, jetée hors de son siège, n’obéit plus qu’à l’impulsion qui l’emporte. Il est des choses qui dès l’abord dépendent de nous, et qui plus tard nous subjuguent et ne souffrent point de retour. L’homme qui s’élance au fond d’un abîme n’est plus maître de lui ; il ne peut ni remonter, ni s’arrêter dans sa chute ; un entraînement irrésistible ne laisse point place à la prudence, au repentir : il lui est impossible de ne pas arriver où il pouvait ne pas aller. Ainsi l’âme qui s’est livrée à la colère, à l’amour, à une passion quelconque, perd les moyens d’enchaîner leur fougue. Il faut qu’elles la poussent jusqu’au bout, précipitée de tout son poids sur la pente rapide du vice.

VIII. Le mieux est de se mettre au-dessus des premières atteintes de la colère, de l’étouffer dans son germe, de se bien garder du moindre écart, car une fois qu’elle égare nos sens, on a mille peines à se sauver d’elle : adieu en effet la raison, quand vient à s’introduire la passion, s’autorisant de notre volonté comme d’un droit. Elle finit par ne plus suivre que ses caprices, sans prendre même notre agrément. Répétons-le : c’est dès la frontière qu’il faut repousser l’ennemi : s’il y pénètre et s’empare des portes de la place, recevra-t-il d’un captif l’ordre de s’arrêter ? Notre âme alors n’est plus cette sentinelle