Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/262

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balance : ce n’est point là une paix, bienfait dont la raison nous gratifie, c’est la trêve peu sûre et menaçante des passions.

IX. Enfin la colère n’a rien d’utile, rien qui stimule la bravoure militaire. Assez forte d’elle-même, la vertu n’est jamais réduite à faire un appel au vice. A-t-elle besoin d’élan ? elle ne se courrouce point ; elle se lève ; elle tend ou relâche ses propres ressorts selon qu’elle le juge nécessaire : tels les traits que lancent nos machines, et dont la portée se mesure au gré du tireur.

« La colère est nécessaire, dit Aristote. Quelle victoire obtient-on sans elle, si elle ne remplit notre âme, si elle n’échauffe notre cœur ? Seulement il faut s’en servir, non comme d’un capitaine, mais comme d’un soldat. » Raisonnement faux : car si elle écoute la raison et qu’elle suive là où celle-ci la mène, ce n’est plus la colère, qui n’est proprement qu’une révolte. Si elle résiste, si, quand on veut qu’elle s’arrête, ses féroces caprices la poussent en avant, elle est pour l’âme un instrument aussi peu utile que le soldat qui n’obéit pas au signal de la retraite. Ainsi donc, ou elle souffre qu’on règle ses écarts, et alors il lui faut un autre nom, puisqu’elle cesse d’être cette colère que je ne puis concevoir que comme indomptable et sans frein ; ou elle secoue le joug, et par là, devenant dangereuse, ne peut plus compter comme secours. En un mot, ce ne sera plus la colère, ou elle sera au moins inutile : car l’homme qui punit, non par passion, mais par devoir, ne saurait passer pour un homme irrité. Le soldat utile est celui qui sait obéir à son chef, plus éclairé que lui ; mais les passions savent aussi mal