Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/264

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Quelle autre chose, sinon la colère, toujours nuisible à elle-même, a rendu inférieurs à nous ces Barbares qui nous sont si supérieurs par la force du corps, et par la patience dans les travaux. N’est-ce pas l’art aussi qui protège le gladiateur, et la colère qui l’expose aux coups ? Qu’est-il enfin besoin de colère, quand la raison atteint le même but ? Croyez-vous le chasseur irrité contre la bête féroce qu’il attend de pied ferme, ou qu’il poursuit dans sa fuite ? C’est la raison qui, sans la colère, fait seule tout cela. Qui, au sein des Alpes qu’ils inondaient, a si bien enseveli tant de milliers de Cimbres et de Teutons, que la renommée seule, à défaut de courrier, porta chez eux la nouvelle de leur entière extermination ? N’est-ce pas la colère qui leur tenait lieu de vaillance, la colère qui parfois renverse et détruit tout sur son passage, mais qui plus souvent se perd elle-même ? Quoi de plus brave que les Germains ? de plus impétueux dans l’attaque ? de plus passionné pour les armes, au milieu desquelles ils naissent et grandissent, qui sont l’unique affaire de leur vie, et qui leur font négliger tout le reste ? Quoi de plus endurci à tout souffrir ? car la plupart ne songent ni à couvrir leur corps ni à s’abriter contre l’inclémence perpétuelle du climat. De tels hommes pourtant sont taillés en pièces par les Espagnols et les Gaulois, par les troupes si peu belliqueuses d’Asie et de Syrie, avant même qu’une légion romaine se montre : et cela par une cause unique, la colère, qui les leur livre. Or, maintenant, qu’à des corps si robustes, qu’à des âmes si étrangères au luxe, à la mollesse, aux richesses, on donne la raison, on donne une tactique, et il nous faudra certes, pour ne pas dire plus, recourir aux mœurs de la vieille Rome. Par cruel moyen Fabius releva-t-il les forces épuisées de la ré-