Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/283

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l’assentiment de l’esprit ; et dès qu’il s’agit de se venger et de punir, ce ne peut être à l’insu de l’intelligence. Un homme se croit lésé ; il court à la vengeance : un motif quelconque le dissuade, et il s’apaise aussitôt. Je n’appelle point cela colère, mais mouvement de l’âme, qui cède à la raison. La colère, c’est ce qui franchit les bornes de la raison et l’entraîne avec elle. Ainsi cette première agitation de l’âme, causée par le soupçon d’une injure, n’est pas plus de la colère, que ne l’est ce même soupçon. La colère est cet élan ultérieur, qui n’est plus seulement la perception de l’injure, mais qui s’associe à cette perception ; c’est l’âme soulevée qui marche à la vengeance volontairement et avec réflexion. Il est hors de doute que la peur porte à fuir, la colère à se précipiter ; or, je le demande, croit-on que l’homme recherche ou évite quoi que ce soit, sans l’assentiment de son intelligence ?

IV. Voulez-vous savoir comment naissent, grandissent et se développent les passions ? L’émotion d’abord est involontaire, et comme l’avant-courrière et la menace de la passion ; il y a ensuite volonté dont il est facile de triompher : on croit la vengeance un devoir après l’injure, ou qu’il faut punir dès qu’il y a eu lésion. L’instant d’après, l’homme n’est plus son maître : il se venge, non parce qu’il le faut, mais parce qu’il le veut à tout prix : il a dépassé la raison ; quant à l’impulsion première, la raison n’y peut échapper, non plus qu’à ces accidents physiques dont j’ai parlé, comme de bâiller en voyant bâiller les autres, de fermer l’œil, quand on y porte brusquement les doigts. Dans tout ceci, la raison est impuissante ; l’habitude peut-être, et une constante habitude de s’observer,