Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/297

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l’homme à ces injurieux parallèles ? N’avez-vous pas l’univers, n’avez-vous pas Dieu que l’homme, seul de toutes les créatures, peut comprendre, parce qu’il est seul fait pour l’imiter ?

« La colère, dit-on, est regardée comme le propre de la franchise. » Oui, si on l’oppose à l’esprit de fraude et d’astuce : elle paraît franche, parce qu’elle est toute en dehors. Je ne puis, moi, l’appeler franchise, mais imprévoyance, nom dont on flétrit l’insensé, le débauché, le dissipateur, tous ceux dont les vices dénotent un esprit peu éclairé.

XVII. « Quelquefois, dit-on, l’orateur qui s’emporte en est plus éloquent. » Dites plutôt : celui qui feint de s’emporter. Et même si le débit de simples acteurs fait impression sur le peuple, ce n’est pas qu’ils ressentent la colère, c’est qu’ils la jouent parfaitement. Ainsi, au barreau, à la tribune, partout où il s’agira d’entraîner et de maîtriser les esprits, on feindra tour à tour la colère, la crainte, la pitié qu’on voudra inspirer aux autres, et souvent ce qu’une vraie émotion n’aurait pu faire, une émotion factice l’obtiendra. « Toute âme incapable de colère, dit-on, est une âme faible. » Oui, si elle n’a pas de ressort plus puissant que celui-là.

Ne soyons ni fripons, ni dupes ; ni compatissants, ni cruels : l’un serait mollesse, l’autre dureté de cœur. Le sage tient un milieu, et, s’il faut faire acte de vigueur, il montrera de l’énergie, non de la colère.

XVIII. Nous avons traité les questions qui ont pour objet la colère en elle-même : venons aux moyens de la guérir. Je les divise en deux classes : ceux qui l’empêchent de naître, et ceux qui, une fois née, préviennent ses écarts.