Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/309

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par représailles, et non pour attaquer, soit par entraînement, soit par contrainte, soit par ignorance ; que même, s’il l’a fait sciemment et avec volonté, tout en vous nuisant, il n’avait pas dessein de vous nuire, mais qu’il a cédé à l’attrait d’un bon mot, ou bien qu’il devait vous écarter de sa route, sous peine de n’arriver jamais. Souvent c’est un flatteur, qui déplait pour vouloir trop plaire. Qu’on se rappelle aussi que de fois l’on a soi-même été en butte à des soupçons faux ; que de services la fortune nous a rendus sous les apparences de l’outrage ; que d’inimitiés se sont chez nous tournées en affections, et l’on sera moins prompt à s’émouvoir, surtout si chaque fois qu’on nous blesse, la conscience nous crie : Et toi-même !… Mais où rencontrer l’équitable juge dont je parle ? Sera-ce le suborneur, qui jamais ne voit la femme d’autrui sans la convoiter, et qui trouve toute femme bonne à séduire dès qu’elle est celle d’un autre, tandis qu’il veut soustraire la sienne à tous les yeux ; sera-ce ce perfide qui exige rigoureusement l’accomplissement de la foi promise ; ce parjure qui tonne contre le mensonge ; ce délateur par état qui s’indigne qu’on l’attaque en justice ; cet infâme jaloux de la pudeur de ses jeunes esclaves, et qui a prostitué la sienne ? les vices d’autrui sont tous sous nos yeux : nous rejetons derrière nous les nôtres. Ainsi le père gourmande les longs festins d’un fils moins déréglé que lui. On n’accorde rien aux passions des autres, et l’on passe tout aux siennes ; le plus cruel tyran s’irrite contre l’homicide, le brigand sacrilège est sans pitié pour le larcin. Trop souvent ce n’est pas la faute qu’on déteste, c’est au délinquant que l’on en veut. Rentrons donc en nous-mêmes : nous deviendrons plus tolérants ; demandons-nous si à notre tour nous n’avons rien fait de pareil, si ces mêmes égarements