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A LUCILIUS. — XCIV.

ez pas la santé. Vous enseignez au pauvre à se conduire comme un riche. Comment le peut-il, tant que la pauvreté reste ? Vous montrez à l’affamé ce qu’il doit faire étant repu ; chassez d’abord la faim de son estomac.

Je vous en dis autant de tous les vices ; il faut les écarter, et non donner des préceptes inexécutables tant que les vices subsistent. Si vous ne dissipez d’abord les préjugés qui nous travaillent, l’avare ne vous croira pas sur le bon usage qu’il doit faire de son argent, ni le poltron sur le mépris des dangers. Il faut faire comprendre à l’un qu’en soi l’argent n’est ni un bien ni un mal ; il faut lui montrer des riches très-misérables. Vous prouverez à l’autre que ces maux, tant redoutés du vulgaire, ne sont pas si fort à craindre qu’on le dit communément ; pas même la douleur, pas même la mort ; que la mort, à laquelle nous soumet la loi de la nature, apporte souvent avec elle une grande consolation, c’est qu’elle ne revient jamais ; que, quant à la douleur, elle a son remède dans la fermeté de l’âme qui rend plus léger tout ce qu’elle supporte avec énergie ; que la douleur a cela de bon, qu’elle ne peut être violente quand elle dure, ni durer quand elle est violente ; qu’enfin il faut recevoir courageusement tout ce qu’ordonnent les lois immuables de l’univers.

Quand, avec de tels principes, vous lui aurez fait envisager son état ; quand il connaîtra que la vie heureuse n’est pas celle qui obéit à la volupté, mais à la nature ; quand il aimera la vertu comme l’unique bien de l’homme ; quand il fuira la honte comme l’unique mal, quand il saura que tout le reste, richesses, honneurs, santé, force, pouvoir, sont des objets indif-