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A LUCILIUS. — XCIV.

mais le motif du précepte. Dites-moi, est-ce à celui qui a des idées justes du bien et du mal, ou à celui qui en a des idées fausses, que les préceptes seront nécessaires ? Ce dernier ne recevra de vous aucune assistance ; s$n oreille est obstruée par le préjugé contraire à vos avis. Celui qui juge sainement de ce qu’on doit fuir ou rechercher, sait ce qu’il doit faire sans que vous ayez besoin de parler. On peut donc écarter toute cette portion de la philosophie.

Il est pour nos fautes deux sources principales : ou l’esprit est perverti par des opinions fausses, ou, sans en être maîtrisé, il est prêt à s’y abandonner ; et bientôt, cédant à l’apparence, il se laisse corrompre. Ainsi nous devons, ou guérir radicalement l’esprit malade et le débarrasser du vice, ou nous emparer de lui tandis que, tout en penchant vers le mal, il est encore libre. Les principes généraux de la philosophie atteignent l’un et l’autre but ; vos préceptes spéciaux ne servent donc à rien.

De plus, si nous donnons des préceptes dans chaque cas particulier, c’est une affaire sans fin. Car il faudra des préceptes différents, et pour le prêteur sur gages, et pour l’agriculteur, et pour le marchand, et pour le courtisan, et pour celui qui doit aimer ses égaux, et pour celui qui doit aimer ses inférieurs. A un mari, vous direz comment il doit vivre avec une épouse qu’il a prise vierge, avec celle qu’il a prise veuve, avec une riche, avec une pauvre. Ne pensez-vous pas qu’il y a quelque différence entre une épouse stérile et une épouse féconde, entre une âgée et une jeune, entre une qui est mère et une qui est belle-mère ? Nous ne pouvons embrasser tous les cas,