Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/330

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Où trouver rien de semblable chez l’homme irrité ? Où est le furieux qui, livré au ressentiment, ne dépouille d’abord toute retenue ; qui, dans sa fougue délirante, élancé contre son ennemi, n’abjure pas toute pudeur ; qui se rappelle encore et le nombre et l’ordre de ses devoirs ; qui sache commander à sa langue, maîtriser aucune partie de lui-même, et, une fois emporté, diriger son élan ?

Nous nous trouverons bien du précepte salutaire de Démocrite : « Pour vivre tranquille, il faut fuir la multiplicité des affaires publiques et privées, et les proportionner à nos forces. » L’homme qui partage sa journée entre tant d’entreprises ne la passera jamais si heureusement qu’il ne se heurte ou contre les hommes ou contre les choses, et ne se voie poussé à la colère. Celui qui traverse en courant les quartiers populeux d’une ville, doit nécessairement coudoyer bien des gens, tomber ici, être arrêté plus loin, éclaboussé ailleurs : ainsi, dans cette mobilité d’une vie coupée par tant de travaux, se rencontrent une infinité d’obstacles, de sujets de mécontentement. L’un trompe nos espérances, l’autre en retarde l’accomplissement ; celui-là s’en approprie les fruits ; nous voyons échouer nos plans les mieux concertés ; car jamais la fortune ne se dévoue à personne au point de couronner les vœux de celui qui poursuit mille objets à la fois. Aussi qu’arrive-t-il ? que celui dont elle a contrarié quelques projets ne peut plus souffrir ni les hommes ni les choses ; sur les moindres motifs, il s’en prend indifféremment aux personnes, aux affaires, aux lieux, au destin, à lui-même. Pour assurer à l’âme sa tranquillité, il faut donc n’en pas dissiper les forces dans le pénible embarras de soins nom-