Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/351

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par la famine, ces railleurs à se rendre, il répartit, dans ses phalanges, ceux qui étaient propres au service, et fit vendre les autres, ce qu’il n’eût pas même fait, assura-t-il, si, pour leur bien, il n’eût fallu un maître à des hommes hors d’état de maîtriser leur langue. C’était pourtant l’aïeul de cet Alexandre qui lançait sa pique contre ses convives, qui, de ses deux amis que j’ai cités plus haut, exposa l’un à la fureur d’un lion, et fut lui-même pour l’autre une bête féroce. Or, de ces deux victimes, laquelle échappa ? celle qui fut jetée au lion.

XXIII. Alexandre ne tenait cet affreux penchant ni de son aïeul, ni même de son père. Car si Philippe eut quelque vertu, ce fut surtout la patience à souffrir les injures, puissant moyen pour maintenir un empire. Démocharès, dit Parrhésiaste, pour l’extrême licence de son langage, lui avait été député avec d’autres Athéniens. Après avoir entendu l’ambassade avec bienveillance, le prince demanda ce qu’il pouvait faire d’agréable aux Athéniens : « C’est de te pendre, » lui répliqua Démocharès. L’indignation des assistants se soulève à cette brutale réponse ; mais Philippe fait cesser les murmures, ordonne de laisser aller ce nouveau Thersite, sans lui faire de mal ; puis se tournant vers les autres députés, il ajoute : « Allez dire aux Athéniens que les gens qui tiennent de tels discours, sont bien plus intraitables que celui qui les entend sans les punir. »

On cite de César Auguste beaucoup d’actes et de paroles mémorables, qui prouvent que la colère avait sur lui peu d’empire. L’historien Timagène s’était permis, sur l’empereur, sur l’impératrice, et sur toute leur maison, certains mots qui ne furent point perdus ; car un trait piquant circule et vole de