Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/395

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resterons immobiles, et la crainte n’enchaînera point nos bras. Et celui-là se montrera véritablement homme, qui, voyant les périls menacer de toutes parts, les armes et les chaînes s’agiter autour de lui, saura ne point briser témérairement sa vertu contre les écueils, ni la cacher lâchement. Tel n’est pas son devoir ; il doit se conserver, mais non point s’enterrer vivant. C’est, je crois, Curius Dentatus qui a dit : « Qu’il aimait mieux être mort que de vivre comme s’il l’était. » Le pire de tous les maux est de cesser avant sa mort d’être compté au nombre des vivants. Or, voici ce qu’il faut faire : êtes-vous venu dans un temps où il est peu sûr de prendre part aux affaires publiques ? livrez-vous de préférence au repos et aux lettres ; et, tout comme vous feriez étant sur mer, gagnez incontinent le port ; n’attendez pas que les affaires vous quittent, mais sachez les quitter de vous-même.

IV. Nous devons premièrement nous considérer nous-mêmes ; puis les affaires que nous voulons entreprendre ; enfin ceux dans l’intérêt desquels et avec lesquels il nous faudra les traiter. Avant tout, il faut bien apprécier nos forces, parce que très souvent nous pensons pouvoir au delà de ce dont nous sommes capables. L’un se perd par trop de confiance en son éloquence ; un autre impose à son patrimoine des dépenses qui en excèdent les ressources ; un troisième exténue son corps débile sous le poids de fonctions trop pénibles. La timidité de ceux-ci les rend peu propres aux affaires civiles, qui demandent une assurance imperturbable ; la fierté de ceux-là ne peut être de mise à la cour ; il en est aussi qui ne peuvent maitriser leur colère, et le moindre emportement leur suggère des