Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/414

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biens ? Ou bien acceptait-il volontiers la mort comme un affranchissement ? Quel que soit le sens qu’on donne à sa réponse, elle partait du moins d’une grande âme. On va me dire : « Mais Caligula aurait pu le laisser vivre. « Canus n’avait pas cette crainte ; il savait trop bien que pour donner de pareils ordres on pouvait compter sur la parole du tyran. Croiriez-vous que les dix jours d’intervalle qui s’écoulèrent jusqu’à son supplice, Canus les passa sans aucune inquiétude ? Les discours, les actions, la profonde tranquillité de ce grand homme vont au delà de toute vraisemblance. Il faisait une partie d’échecs, lorsque le centurion, qui conduisait au supplice une foule d’autres victimes, vint l’avertir ; Canus compta ses points, et dit à son partenaire : « Au moins, après ma mort, n’allez pas vous vanter de m’avoir gagné. » Puis, s’adressant au centurion : « Soyez témoin que j’ai l’avantage d’un point. » Croyez-vous que Canus fût si fort occupé de son jeu ? Non, mais il se jouait de son bourreau. Ses amis étaient consternés de perdre un tel homme : « Pourquoi cette tristesse ? leur dit-il. Vous êtes en peine de savoir si les âmes sont immortelles ; je vais savoir à quoi m’en tenir. » Et jusqu’au dernier moment, il ne cessa de chercher la vérité, et de demander à sa propre mort la solution de ce problème. Il était suivi d’un philosophe attaché à sa personne ; et déjà il approchait de l’éminence où chaque jour on offrait des sacrifices à César notre dieu : « À quoi pensez-vous maintenant, lui demanda le philosophe, et quelle idée vous occupe ? Je me propose, répondit-il, d’observer, dans ce moment si court, si je sentirai mon âme s’en aller. » Puis il promit, s’il découvrait quelque chose, de venir trouver ses amis pour les informer de ce que devenait l’âme. Voilà ce qui s’appelle de la tranquillité au milieu