Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/416

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choses de la vie que d’en gémir. Ajoutez que mieux vaut pour le genre humain s’en moquer, que se lamenter à son sujet. L’homme qui rit de ses semblables laisse du moins place à l’espérance ; et c’est sottement qu’on déplore ce qu’on désespère de jamais amender ; enfin, à tout bien considérer, il est d’une âme plus haute de ne pouvoir s’empêcher de rire, que de s’abandonner aux larmes. Dans le premier cas, l’âme n’est affectée que bien légèrement, et ne voit rien de grand, de raisonnable, ni de sérieux dans tout l’appareil de la vie humaine. Qu’on prenne l’une après l’autre toutes les occasions qui peuvent nous attrister ou nous réjouir, et l’on reconnaîtra combien est vrai ce mot de Bion : « Toutes les affaires qui occupent les hommes sont de vraies comédies, et leur vie n’est ni plus honnête ni plus sérieuse que les vains projets qu’ils conçoivent dans leur pensée. « Mais il est plus sage de supporter doucement les déréglements publics et les vices de l’humanité, sans se laisser aller ni aux rires ni aux larmes ; car se tourmenter des maux d’autrui, c’est se rendre éternellement malheureux ; s’en réjouir est un plaisir cruel ; comme aussi, c’est montrer une compassion inutile, que de pleurer et de composer son visage, parce qu’un homme va mettre son fils en terre.

De même, dans vos chagrins personnels, n’accordez à la douleur que ce que réclame la raison, et non le préjugé ou la coutume. La plupart des hommes versent des larmes pour qu’on les voie couler : leurs yeux deviennent secs dès qu’il n’y a plus de témoin ; ils auraient honte de ne point pleurer lorsque tout le monde pleure. La mauvaise habitude de se régler sur l’opinion d’autrui est si profondément enracinée, que le plus naturel de tous les sentiments, la douleur, a aussi son affectation.