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A LUCILIUS. — XCI.

arriver. En effet, lorsque la fortune le veut, il n’est point de bonheur qvUrfui résiste ; plus il jette d’éclat, plus elle s’y attache, et le renverse avec violence. Qu’y a-t-il de pénible, d’impossible à la fortune ? Elle ne suit pas toujours la même route, elle ne nous fait pas sentir toute sa puissance à la fois : tantôt ce sont nos mains qu’elle dirige contre nous-mêmes ; tantôt, contente de ses propres forces, elle invente des dangers où elle nous précipite ; tous les temps lui sont bons, et c’est souvent au sein des plaisirs que nos douleurs prennent naissance. Au milieu de la paix, nous voyons surgir la guerre, et les ressources sur lesquelles nous comptions se changent en sujets de crainte. Nos amis deviennent nos ennemis ; nos alliés, nos adversaires. C’est dans le calme de l’été que s’élèvent soudainement des tempêtes plus terribles que celles de l’hiver. Sans guerre, nous souffrons tous les maux qu’elle entraîne ; et si les autres causes de destruction manquaient, trop de bonheur les appellerait bientôt sur nous.

La maladie se jette sur l’homme le plus tempérant, la phthisie sur l’homme le plus vigoureux ; le châtiment menace les plus innocents, et l’agitation de l’âme tourmente les hommes les plus retirés. La fortune choisit toujours quelque événement nouveau, pour rappeler sa puissance à qui pourrait l’avoir oubliée. Un seul jour suffit pour disperser, pour anéantir tout ce que bien des années, bien des travaux, avec l’aide de la Divinité, ont pu amasser : c’est assigner un terme trop long à la rapidité du mal, que de dire : Il faut un jour pour détruire des empires ; il ne faut qu’une heure, qu’un moment ! Ce serait une grande consolation pour notre faiblesse, si tout ce qui existe mettait autant de temps à périr qu’à croître ; mais non, l’accroissement est lent, la destruction rapide.