Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/107

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visage pour n’y pas laisser voir ses crimes, la Peur, l’Épouvante, le Deuil, la Douleur frémissante, le noir Chagrin, la Maladie tremblante, et la Guerre homicide ; puis, cachée en un coin, tout au fond, l’impuissante Vieillesse qui appuie d’un bâton ses pas chancelans.

AMPHITRYON.

Y a-t-il au moins quelque partie de ce sol affreux qui produise les dons de Cérès ou de Bacchus ?

THÉSÉE.

Non, point de prés fleuris qui charment les yeux par leur douce verdure ; point de moissons joyeusement balancées dans l’air par le souffle du Zéphyr, point d’arbres courbés sous le poids de leurs fruits. Ces lieux profonds n’offrent partout que l’image de la mort et de la stérilité : c’est une terre affreuse, éternellement inculte et désolée, la limite du monde où toute vie expire. L’air y est épais et immobile, une nuit sombre pèse lourdement sur ce monde engourdi : tout y respire la tristesse et l’horreur, et ce séjour de la Mort est plus hideux que la mort même.

AMPHITRYON.

Et le dieu qui règne sur ces demeures ténébreuses, où a-t-il son trône et le siège de son triste empire ?

THÉSÉE.

Il est dans un obscur enfoncement du Tartare un espace enveloppé de brouillards épais et de sombres nuages. Là, d’une source commune, s’échappent deux fleuves bien différens : l’un, et c’est celui que les dieux prennent à témoin de leurs sermens, roule d’un cours tranquille et doux ses eaux sacrées ; l’autre s’élance avec