Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/181

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peste qui doit jeter partout des semences de mort. Il me faut pousser mes petits-fils à des crimes épouvantables, moi leur aïeul ! souverain père des dieux et le mien, quoiqu’il en coûte à ta gloire de l’avouer, je ne me retiendrai pas, et, malgré les châtimens réservés à ma langue indiscrète, je parlerai : Gardez-vous, ô mes enfans, de souiller vos mains par des meurtres sacrilèges, gardez-vous de verser le sang sur les autels. Je serai là, j’empêcherai les crimes… Pourquoi ce redoutable fouet qui m’épouvante, ces serpens qui se tordent menaçans à ma vue ? Pourquoi cet aiguillon de la faim pénètre-t-il jusqu’à la moelle de mes os ? Ma poitrine desséchée par la soif s’irrite et s’enflamme, un feu s’allume au fond de mes entrailles brûlées. Je te suis.

MÉGÈRE.

Cette fureur qui te possède, répands-la sur ta famille entière. Qu’ils cèdent aux mêmes transports, que leur haine se change en une soif horrible qui les porte à boire le sang les uns des autres… Ce palais s’est ressenti déjà de ton entrée, il s’est ému tout entier à ta fatale présence. Il suffit ; retourne aux gouffres de l’enfer, au fleuve que tu connais. Déjà la terre attristée souffre sous tes pas criminels. Vois, l’eau des fontaines rentre sous le sol, les fleuves se tarissent, un vent de feu chasse à peine devant lui quelques nuages sans eau. Les arbres deviennent pâles, leur fruit se détache et la branche reste nue. L’isthme que deux mers pressent de leurs vagues retentissantes, et qui ne laisse entre elles qu’une terre étroite, s’est agrandi et n’entend plus que de loin le murmure des flots. Le marais de Lerne est desséché,