Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/245

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LE MESSAGER.

Plût au ciel qu’il les eût privés de la terre qui couvre les morts et de la flamme qui les consume, pour les faire servir de pâture aux oiseaux, ou les jeter en proie aux bêtes féroces, et fait voir au malheureux Thyeste ses fils sans sépulture ! ce supplice pour lui serait une grâce. — Ô crime que la postérité ne croira jamais et qu’aucun siècle ne pourra concevoir ! les entrailles arrachées de ces corps vivans tressaillent, les veines palpitent, et le cœur s’agite encore sous l’impression de la terreur ; Atrée a le courage de manier les fibres, et d’y lire la destinée ; il observe attentivement les viscères encore tout pénétrés du feu de la vie. Satisfait des présages qu’il y trouve, il s’occupe tranquillement du festin qu’il veut offrir à son frère. Il coupe les corps en morceaux, il sépare du tronc les épaules et les attaches des bras, met à nu les articulations, brise les os, et ne laisse en leur entier que la tête et les mains qu’il avait reçues dans les siennes en signe de fidélité. Une partie des chairs est embrochée et se distille lentement devant le feu ; l’autre est jetée dans une chaudière que la flamme fait bouillonner et gémir : le feu laisse derrière lui ces effroyables mets, il faut le replacer trois fois dans le foyer pour le forcer enfin à s’arrêter et à brûler malgré lui. Le foie siffle autour de la broche, et je ne saurais dire laquelle gémit plus fort de la chair ou de la flamme, qui, noire comme la poix, se dissipe en fumée. Cette fumée est elle-même sombre et pesante ; elle ne monte pas droite vers le ciel, mais elle se balance dans l’air, et forme autour des dieux Pénates un nuage épais qui les couvre. — Ô Soleil