Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/27

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permettait, l’exigeait même. Ce qui nous choque dans Sénèque, c’est l’excès d’un esprit vigoureux, mais souvent faux et déréglé, qui ne sait pas garder une juste mesure. La grandeur des théâtres romains, la multitude des spectateurs, le besoin de frapper l’attention d’un peuple affamé de fortes émotions, et surtout de répondre à la magnificence de l’appareil théâtral[1], de sorte que l’oreille fût remplie comme les yeux, avaient dû nécessairement introduire dans la tragédie romaine une pompe et une élévation de style inconnues sur les théâtres grecs et sur les nôtres. Le malheur de notre poète, c’est que chaque pensée qu’il veut exprimer le domine ; il court après elle, et souvent il ne l’atteint pas ; il monte, il s’élève, et ne trouve plus ce qu’il a cherché dans les nuages.

Au reste, les défauts qu’on peut lui reprocher sont trop connus et trop célèbres pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter long-temps. Le passage du Cours de littérature que nous avons cité plus haut les résume tous. Seulement, la critique du dix-huitième siècle, plus littéraire que philosophique, s’est trop exclusivement renfermée dans la question d’art, toujours vaine et toujours stérile, comme nous l’avons dit, quand on l’isole de toutes les circonstances de temps et de lieu qui seules peuvent lui donner une véritable importance. Les tragédies de Sénèque sont surtout une peinture fidèle et souvent hideuse de la société romaine, sous les règnes de Claude et de

  1. Horace nous en donne une idée. Voyez Épitres, livre II, ép. 1, v. 87 et suiv.