Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/271

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cris. C’est toi qui m’attends ; toi seule dois être le témoin de ma misère, nuit profonde et sans étoiles. Je ne formerai point de vœux coupables. D’abord je ne demande rien pour moi ; eh ! que pourrai-je demander ? c’est pour vous seuls, ô dieux, que je vous prie. — Souverain maître du ciel, roi suprême du royaume éthéré, bouleverse le monde dans un tourbillon d’affreux nuages, déchaîne tous les vents, et que toutes les parties du ciel s’ébranlent aux éclats de ton tonnerre. Arme tes mains non de ces foudres légères qui brisent les toits et les demeures innocentes des mortels, mais de celle qui mit en poudre trois montagnes entassées l’une sur l’autre, et les Géans non moins énormes qu’elles. Voilà les traits, voilà les feux que tu dois lancer. Rends-nous le jour qui nous a fui, darde tes carreaux, et supplée à la lumière du ciel par celle des éclairs. N’hésite pas, frappe-nous tous les deux comme coupables, sinon frappe-moi seul ; et que les trois carreaux de la foudre enflammée traversent ma poitrine : pour rendre les derniers devoirs à mes fils, et brûler leurs corps, il faut me brûler moi-même. Si rien ne peut émouvoir les dieux, s’ils n’ont point de colère contre les impies, que cette nuit du moins soit éternelle, et que ses longues ténèbres s’égalent à l’immensité de ce crime. Je ne désire point le retour de ta lumière, ô Soleil !

ATRÉE.

Maintenant je suis content de mon œuvre, maintenant je jouis de ma victoire. Sans l’excès de ta douleur, mon crime serait perdu. De ce moment, je me sens le père de mes enfans, et la fidélité de mon épouse est justifiée.