Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/29

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maine que certaines descriptions que nous n’oserions citer à cause de l’horreur et du dégoût qu’elles inspirent. On se demande, en les lisant, quel devait être ce peuple qui avait besoin de pareilles images pour se sentir vivre et s’émouvoir. Le supplice volontaire d’Œdipe, le festin d’Atrée, l’inventaire des membres d’Hippolyte fait sur le théâtre par son père, etc., nous semblent marquer le dernier terme de la dégradation romaine, ou plutôt de la corruption de l’ancien monde. De tels spectacles supposent un endurcissement des fibres du cœur si difficile à concevoir, qu’on croirait que le peuple romain, comme ce roi d’Asie qui s’était ôté la ressource du poison par l’usage du poison même, avait épuisé en lui, par l’abus, la source des émotions de tout genre. On dit que la délicatesse des Grecs avait trouvé la coupe d’Eschyle parfois trop pleine et trop enivrante ; celle où les tragiques latins versaient le crime et la douleur était bien d’une autre mesure et d’un autre goût ; il fallait une nourriture plus forte pour assouvir la sensualité grossière et dépravée du peuple-roi, qui s’asseyait au théâtre comme Vitellius à table ; il fallait des malheurs étranges, des crimes démesurés, pour exciter quelque émotion dans ces âmes durcies, que des images vraies n’eussent pas seulement effleurées ; il fallait remplacer la terreur par l’horreur, outrer les proportions de toutes choses, fausser la nature et la vérité pour leur offrir un spectacle qu’elles pussent aimer et comprendre. C’est surtout dans les rôles de femmes que l’époque se reconnaît. Les vertus de ce sexe ont disparu sur la scène, comme elles avaient disparu dans Rome,