Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/291

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un torrent ses flots impétueux : mène-moi ou je trouverai des bêtes féroces, une mer, un précipice, et montre-toi mon guide. Je veux aller mourir sur cette roche élevée où s’asseyait le Sphinx pour y proposer ses énigmes. C’est là qu’il faut porter mes pas, c’est là qu’il faut laisser ton père. Pour que cette horrible place ne reste pas vide, mets-y un monstre plus affreux que le premier. Assis sur ce rocher, je raconterai le mystère obscur de ma destinée, que nul n’expliquera. Vous tous qui fécondez ces plaines où règne le roi venu d’Assyrie, vous tous qui révérez le bois connu par le serpent de Cadmus, et qui couvre de son ombre la sainte fontaine de Dircé, vous tous qui buvez les eaux de l’Eurotas, et habitez Sparte célèbre par ses nobles jumeaux, vous tous peuples de l’Élide et du Parnasse, vous tous qui cultivez les riches campagnes de la Béotie, prêtez l’oreille : le Sphinx, ce fléau de Thèbes, ce monstre si habile à combiner des énigmes funestes, en a-t-il jamais proposé une semblable à la mienne, et aussi inexplicable ? Un homme gendre de son aïeul, et rival de son père, frère de ses enfans, et père de ses frères ; une femme à la fois mère et aïeule, qui dans un même instant donne des enfans à son mari, et à elle-même des petits-enfans. Qui trouvera le mot de cette affreuse énigme ? moi-même, moi le vainqueur du Sphinx, j’hésiterai, je serai lent à expliquer ma propre destinée. — Pourquoi perdre en vain tes paroles ? pourquoi chercher par tes prières à ébranler une résolution invincible ? C’est un parti pris, je veux me délivrer enfin de cette âme qui lutte depuis trop long-temps contre la mort, je veux entrer dans la nuit ; car celle qui couvre