Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/329

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père a exercée contre lui-même, par ces yeux qu’il s’est arrachés pour se punir d’un crime qu’il n’avait pas commis, rachetant, par un supplice affreux, une simple erreur, je t’en conjure, ô mon fils, détourne des murs de ta patrie ces torches incendiaires, et ramène en arrière les drapeaux de cette armée ennemie qui marche sur tes pas. Songe qu’en te retirant même, ton crime est en partie consommé. Thèbes a vu ses campagnes couvertes de bataillons étrangers ; elle a vu de loin l’éclat sinistre des armes ; elle a vu les prairies de Cadmus foulées sous les pas des coursiers ennemis ; elle a vu les chefs montés sur leurs chars rapides ; elle a vu la fumée des torches brûlantes qui doivent réduire nos maisons en cendres ; elle a vu (crime nouveau même pour ce malheureux pays) deux frères tout prêts à s’entr’égorger. Toute l’armée, vos deux sœurs, votre mère ont vu ce crime ; votre père se doit à lui-même de ne l’avoir pas vu. Pense donc à ton père, à cet Œdipe qui n’absout pas même l’erreur involontaire. Je t’en conjure, mon fils, ne porte point l’épée contre ta ville natale et contre le palais de tes pères, ne détruis point cette Thèbes où tu veux régner. Quelle fureur s’est emparée de toi ? tu perds ta patrie en voulant la posséder, et tu l’anéantis pour la rendre tienne. Ne sens-tu pas le tort que tu te fais à toi-même en portant le fer et la flamme dans nos plaines, en détruisant nos moissons presque mûres, en dépeuplant nos campagnes ? Qui jamais a détruit ainsi ses propres biens ? ces maisons que tu veux brûler, ces campagnes que tu livres au tranchant du fer, tu ne les crois donc pas à toi ? décidez entre vous qui sera roi, mais