Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/335

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vaillantes armées d’Adraste ; voilà les nations qu’il doit conquérir et soumettre à ta puissance. Suppose que c’est ton père qui rêgne encore aujourd’hui sur Thèbes. L’exil vaut mieux pour toi qu’un pareil retour : ton exil, c’est le tort d’un autre ; ton retour, c’est le tien propre. Il te sera plus glorieux d’employer tes armes à conquérir un nouveau royaume que tu puisses posséder sans crime ; ton frère même joindra ses forces aux tiennes, et te servira dans cette conquête ; va, mon fils, et pars pour une guerre où ton père et ta mère feront des vœux pour le succès de tes armes. Un trône souillé par le crime est pire que le plus triste exil. Songe à tous les maux de la guerre, et aux chances douteuses qu’elle entraîne avec elle. Quand tu amènerais avec toi toutes les forces de la Grèce, quand tes bataillons couvriraient nos plaines dans tous les sens, l’issue des combats demeure toujours incertaine, soumise qu’elle est aux caprices de Mars. L’épée égalise les adversaires les plus inégaux en force. L’espérance et la crainte se balancent au gré de l’aveugle fortune. Le but que tu poursuis est incertain, le crime seul est assuré. Suppose tous tes vœux remplis : tes concitoyens ont fui devant toi, vaincus et dispersés ; leur ruine est complète, tes soldats couvrent les campagnes. Eh bien ! dans l’ivresse de ta victoire, chargé des dépouilles de ton frère tombé sous tes coups, il te faudra maudire tes lauriers. Quel nom donneras-tu à une guerre où la joie du vainqueur devient un forfait exécrable ? Ce frère que, malheureux aujourd’hui, tu veux vaincre, tu pleureras sur lui dès que tu l’auras vaincu. Renonce donc à