Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/363

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dans son vol, frappe le ciel et la terre avec la même puissance.

LA NOURRICE.

C’est la passion qui, dans sa lâche complaisance pour le vice, a fait de l’amour un dieu, et paré faussement d’un nom divin sa fougue insensée pour se donner une plus libre carrière. On dit que Vénus envoie son fils se promener par le monde ; et que cet enfant, dans son vol à travers les airs, lance de sa faible main ses flèches impudiques ; l’on donne ainsi au moindre des dieux la plus grande puissance parmi les Immortels. Vaines créations d’un esprit en délire qui invoque à l’appui de ses fautes l’existence d’une Vénus déesse, et l’arc de l’Amour ! C’est l’enivrement de la prospérité, l’excès de l’opulence, le luxe, père de mille besoins inconnus, qui engendrent cette passion funeste, compagne ordinaire des grandes fortunes : les mets accoutumés, la simplicité d’une habitation modeste, les alimens de peu de prix deviennent insipides. Pourquoi ce fléau, qui ravage les somptueux palais, ne se trouve-t-il que rarement dans la demeure du pauvre ? pourquoi l’amour est-il pur sous le chaume ? pourquoi le peuple garde-t-il des goûts simples et de saines affections ? pourquoi la médiocrité sait-elle mieux régler ses désirs ? pourquoi les riches, au contraire, et surtout ceux qui ont pour eux la puissance royale, sortent-ils des bornes légitimes ? celui qui peut trop, veut aller jusqu’à l’impossible. Vous savez quelle doit être la conduite d’une femme assise sur le trône ; tremblez donc, et craignez la vengeance de votre époux dont le retour est proche.