Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/51

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Va maintenant, superbe ; porte jusqu’au ciel tes vœux hardis, et méprise la terre. Tu crois avoir échappé au Styx, et à la puissance des divinités infernales ? sur la terre même tu vas retrouver l’enfer. Je ramènerai sur toi la Discorde affreuse des lieux profonds et ténébreux qu’elle habite au dessous du Tartare, sous l’épaisseur d’une montagne énorme qui l’enferme dans ses flancs ; avec elle, je susciterai ce qui reste encore de monstres dans le royaume de Pluton. Viennent donc le Crime odieux, l’Impiété farouche, qui lèche son propre sang, l’Égarement, et la Fureur toujours armée contre elle-même.

La Fureur ! oui, c’est elle qui sera le ministre de mon ressentiment. Hâtez-vous, filles d’enfer ; secouez vos torches ardentes ; que Mégère conduise la troupe effroyable des Furies, et que sa main funèbre s’arme d’une poutre brûlante, prise dans les flammes d’un bûcher ! Allons, punissez les profanateurs du Styx ; frappez vos seins ; que vos cœurs s’embrasent de plus de feux que n’en peuvent contenir les forges de l’Etna ! Pour mieux bouleverser l’âme d’Hercule, et la transporter de fureur, il faut d’abord me rendre moi-même furieuse. Je suis trop calme encore. C’est moi, fières sœurs, c’est moi dont vous devez premièrement troubler la raison, si vous voulez allumer en moi toute la rage d’une marâtre. Donnons à ma haine un autre cours. Je veux qu’il revienne ici victorieux, et qu’il ait la joie de revoir ses enfans. Le jour est venu où son courage abhorré doit enfin trouver grâce à mes yeux. Qu’il triomphe de moi, qu’il triomphe de lui-même ; qu’il souhaite de mourir après être remonté des enfers, et qu’alors je ne regrette