Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/13

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fortune. Que j’avais bien fait de fuir les états de Polybe mon père ! J’étais exilé, mais tranquille ; errant, mais exempt d’alarmes. Le ciel et les dieux me sont témoins que je ne cherchais pas le trône où je suis monté. Une prédiction funeste me poursuit : je crains de devenir l’assassin de mon père ; le laurier prophétique de Delphes me menace de ce crime et d’un autre plus grand encore. Et pourtant peut-il en être un plus abominable que le meurtre d’un père ? Malheureux enfant que je suis ! j’ai honte de rappeler cette prédiction. Apollon m’annonce un hymen abominable, une couche incestueuse, et des torches impies qui doivent éclairer l’union d’un fils avec sa mère ! C’est cette crainte seule qui m’a chassé des états paternels. Je n’ai point quitté le lieu de ma naissance comme un vil banni ; mais, me défiant de moi-même, j’ai mis à couvert tes saintes lois, ô nature ! Quand l'homme tremble à l’idée d’un crime, alors même qu'il ne le voit pas possible, il doit le craindre encore. Tout m’effraie, et je n’ose compter sur moi-même. Il faut bien que la destinée me prépare quelque malheur : car, que dois-je penser de me voir seul épargné par le fléau qui, déchaîné contre le peuple de Cadmus, étend si loin ses ravages ? À quel malheur suis-je donc réservé ? dans la désolation d’une ville entière, au milieu des larmes et des funérailles sans cesse renaissantes, je reste seul debout sur les débris de tout un peuple. Condamné comme je le suis par la bouche d’Apollon, pouvais-je attendre une royauté plus heureuse pour prix de si grands crimes ? C’est moi qui empoisonne l’air qu’on respire ici. Le souffle pur de la brise ne raf-