Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/239

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la mort pour son père et pour toute cette race royale, et laissez-moi vous demander un supplice plus terrible pour l’époux. Qu’il vive, mais pour errer dans des villes inconnues, pauvre, exilé, tremblant, détesté, sans asile ; réduit à regretter mon amour, à frapper deux fois à une porte étrangère comme un hôte fatal ; et, ce qui est le vœu le plus cruel que je puis former contre lui, qu’il ait des enfants semblables à lui-même, semblables à leur mère ! Je suis, oui, je suis déjà vengée, j’ai des enfants. Mais c’est trop de plaintes et de paroles inutiles. N’irai-je pas contre mes ennemis ? n’éteindrai-je pas les torches nuptiales et la clarté du jour ? Le Soleil, père de ma famille, voit un pareil spectacle ! Il se laisse voir lui-même, et, monté sur son char, suit sa route accoutumée dans l’azur d’un ciel sans nuages ! Il ne recule pas, il ne ramène pas le jour en arrière ! Laisse-moi, laisse-moi traverser les airs sur ton char, ô mon père ; confie-m’en la conduite, et remets en mes mains les rênes brûlantes de tes coursiers enflammés. L’incendie de Corinthe réunira les deux mers qu’elle sépare. C’est le seul parti qui me reste : je porterai comme ma rivale une torche d’hyménée, je réciterai les prières sacramentelles, et j’immolerai des victimes sur les autels consacrés pour ce grand jour. Cherche dans leurs entrailles mêmes le chemin de la vengeance, ô mon âme ; si tu sais encore oser, et s’il te reste quelque chose de ta vigueur première, bannis toute crainte de femme, et revêts-toi de toutes les fureurs du Caucase. Tous les crimes qu’ont vus le Phase et le Pont, Corinthe les verra : je roule dans mon esprit des projets affreux, inouïs, abominables, qui doivent épou-