Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 2.pdf/249

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de ta fuite, mis en pièces ; sa dépouille jetée sur la route de son père, et les débris de son corps semés sur le sol de son royaume ; les membres du vieux Pélias brûlés dans la chaudière qui devait le rajeunir, que de meurtres commis ! que de sang répandu ! Et pourtant aucun de ces crimes ne fut l’effet de ma colère ; aujourd’hui je sens toute la rage d’un amour dédaigné.

Mais que pouvait Jason, dominé connue il était par une volonté et une puissance étrangères ? Il devait offrir son cœur au fer homicide. Non, modère ces transports, ô ma douleur, et parle plus sagement. Que Jason vive, et qu’il soit toujours à moi, s’il est possible ; sinon, qu’il vive encore, qu’il garde le souvenir de mes bienfaits, et conserve cette vie que je lui ai donnée. La faute en est tout entière à Créon, qui abuse de sa puissance pour briser les nœuds de notre hymen, pour enlever une mère à ses enfants, et séparer deux époux si étroitement unis. C’est de lui seul qu’il faut me venger, c’est lui seul qu’il faut punir. Je réduirai son palais en cendres, et le promontoire de Malée, si redoutable aux vaisseaux égarés parmi ses écueils, verra monter vers le ciel de noirs tourbillons de fumée.

La nourrice

Calmez-vous, de grâce, et renfermez au fond de votre cœur ces plaintes funestes. Il faut dévorer patiemment et en silence les plus sanglants outrages, si l’on veut pouvoir s’en venger. C’est la colère concentrée qui est à craindre, tandis que la haine qui parle s’ôte à elle-même tout moyen de vengeance.